Lanceur D’alerte, Karim est sous le coup d’une procédure de licenciement…pour avoir dénoncé sa propre discrimination. Seul face à sa hiérarchie, l’agent fait face à l’hostilité de son supérieur hiérarchique issu de l’extrême droite et au parti pris d’Anne Hidalgo, Maire de Paris. 

La trajectoire sociale de Karim* est de celle que les élites dirigeantes aiment à mettre en avant pour se conforter dans l’idée que la République traite tous ses enfants sur un pied d’égalité. Pur produit de la méritocratie républicaine, cet agent débute sa carrière en province, tout au bas de l’échelle. Concours après concours il gravit les échelons et accède ainsi à la catégorie « A ». Mais si l’on se réfère à une étude de l’INED dirigée par le démographe Patrick Simon, le parcours de Karim semble davantage relever de l’exception que de la règle, étant donnée la difficile mobilité professionnelle des agents d’origines africaines, maghrébines ou originaires des DOM. Pourtant, le supérieur hiérarchique de Karim, Christophe M., nommé au milieu de l’année 2017 décide de mettre un terme à sa fabuleuse ascension.

Photo prise devant le bureau de Mr Christophe M.

En effet, Karim fait aujourd’hui l’objet d’une mesure disciplinaire visant à le radier définitivement des effectifs de la Mairie et à lui fermer à  jamais les portes de la fonction publique. Le motif invoqué ? « Insuffisance professionnelle ». Un motif vide de sens pour ce fonctionnaire très bien noté par sa hiérarchie et qui présente d’excellents états de service. Une procédure de licenciement qui survient en réaction à la plainte déposée par Karim contre Christophe M. et contre X, auprès du tribunal pénal. C’est suite à l’absence de réaction de la direction, à laquelle Karim avait pris soin de signaler les agissements de son supérieur qu’il a décidé de porter plainte et de saisir le Défenseur des Droits.

Selon Karim qui cite un tract de l’UNSA, le harcèlement ne s’est pas limité à sa personne puisque près d’un quart des effectifs sous l’autorité de ce nouveau chef aurait demandé à être réaffecté vers d’autres services

“les candidats d’origine maghrébine ou antillaise sont systématiquement écartés des promotions proposées”

Dès les premiers contacts avec son supérieur, Karim perçoit dans son attitude ce qui s’apparente à du mépris. Alors que celui-ci sert assez facilement la main de ses collègues et subordonnés, il évitera soigneusement de serrer celle de Karim ainsi que celle de sa collègue antillaise.  D’un bureau lumineux et spacieux, Karim passe, peu après l’arrivée de son supérieur, à un bureau exigu, sale et poussiéreux, ce qu’il ne manque pas de prendre comme une mesure vexatoire. Le ton sur lequel il s’adresse à Karim est emprunt d’agressivité et de condescendance et il s’arrange autant que possible pour contourner son subordonné en s’adressant à son adjointe. Les réunions s’organisent dans le dos de l’agent,  contribuant ainsi à le mettre progressivement à l’isolement. Le malaise s’installe, mais que peut faire Karim ? A ce stade, rien.

Demande financement de formation refusée

Fin 2017, Karim décide de reprendre ses études. Il vise un master à Science Po Paris et sollicite donc un co-financement auprès de son employeur pour faire face aux frais de scolarités qui s’élèvent à 18.900 euros.

Son supérieur hiérarchique le lui refuse sous des prétextes qu’il estime fallacieux, avançant comme principal motif que la formation n’a aucun rapport avec son travail bien que le sujet de son master touche à « la sécurité publique, la prévention de la radicalisation et le rôle du maire dans la question de la prévention de la radicalisation », thématique parfaitement cohérente avec ses fonctions.

« les agents d’origine maghrébines et antillaises ont 4 à 5 fois moins de chance d’être promus soit au choix, soit à l’examen professionnel »

Karim apprendra par la suite que les crédits formations alloués à son service avaient été restitués à la DRH car ils n’avaient pas été utilisés. Montant : 18.000 euros. Soit la quasi totalité de la somme que Karim  aura finalement déboursé de sa poche…  Karim encaisse le choc sans se plaindre. 

Karim décide d’agir lorsque son supérieur lui refuse une promotion au choix.

Tous les ans,  une Commission Administrative Paritaire (CAP) de la Ville de Paris se réunit et peut, selon des critères prédéfinis, promouvoir des agents. Karim souhaite passer au grade d’attaché supérieur. Il  remplit en effet tous les critères : bons chiffres d’activités de service et une notation annuelle dithyrambique. En toute confiance, Karim adresse un e-mail à son supérieur le 14 février 2018 pour lui faire part de sa candidature : « Il me répond de manière injurieuse, ajoutant que je n’ai pas le niveau ! ». Il apprend ultérieurement que l’agent proposé à sa place n’avait ni le niveau, ni aucun des critères nécessaires pour poser sa candidature, laquelle n’était d’ailleurs recevable qu’à une date ultérieure à la réunion de la CAP…

Karim remarque qu’il n’est pas le seul à faire les frais de cette politique de discrimination : les candidats d’origine maghrébine ou antillaise sont systématiquement écartés des promotions proposées. 

L’une de ses subordonnées, d’origine antillaise, agente de catégorie C  souhaitait devenir secrétaire administrative. « Elle avait toutes les compétences nécessaires et remplissait les critères, explique Karim, elle aurait dû être au premier rang pour obtenir la promotion !» C’est pourtant une femme appartenant « au groupe majoritaire », pour reprendre la terminologie de l’INED – autrement dit une femme blanche- qui décroche le poste, en violation de toute logique de promotion basée sur le mérite, seul critère admis pour départager les candidats.  « Elle était pourtant loin de correspondre aux critères demandés », déplore Karim. 

Après cet épisode, Karim commence à prendre la mesure de la situation. Son cas additionné à celui de l’une de ses collègues d’origine antillaise pointaient vers une pratique discriminatoire assumée de Mr Christophe M. « J’ai très vite eu le sentiment qu’il appartenait à l’extrême droite identitaire…».

« Bijour, ji m’appil….», Christophe M.

Un incident dont il a été témoin au printemps 2018 le confortera dans ses craintes

Au cours d’une réunion, Christophe M. moque l’accent maghrébin d’un formateur d’un stage auquel il a participé quelques jours auparavant : « Au début, on se serait cru sur une plateforme d’appel téléphonique délocalisée au Maroc » et ajoute en imitant un accent maghrébin caricatural : « Bijour, ji m’appil….», interrompu par son propre rire. 

Karim refuse de laisser passer l’incident. Il  adresse un courrier à la direction pour dénoncer ce qu’il qualifie de « propos à connotation raciste ».  Puis il saisit le Défenseur des Droits et porte plainte contre X pour harcèlement et discrimination auprès du Procureur de la République. 

Un sympathisant d’extrême droite pressenti pour diriger la future Police Municipale voulue par Anne Hidalgo ?

Le bon sens aurait voulu que la « maison maire » convoque le haut fonctionnaire  pour le sanctionner.  Christophe M. sera effectivement entendu par la direction, mais il lui suffira d’invoquer l’humour pour être blanchi de toute accusation de racisme. Mais lorsque Karim signale en décembre 2018 une affiche scotchée  sur la porte de son bureau représentant un homme affublé d’un masque de cochon intitulée Front de Libération du Cochon, c’est bien évidemment encore  ”l’humour” de son supérieur Christophe M. qui vient de sévir. Un humour dont Karim ne tarde pas à découvrir qu’il prend ses sources dans le fond iconographique de l’extrême-droite identitaire… Cette affiche qui se trouvait au vu et au su de tous les agents, dont plusieurs de confession ou de culture musulmane, a été retirée peu après le signalement effectué par Karim. Mais le fonctionnaire ne compte pas en rester là et adresse cette fois un courrier de protestation en haut lieu, à Mme Anne Hidalgo ainsi qu’à son adjointe chargée des Ressources humaines, Mme Véronique Levieux. 

Convaincu que son supérieur appartient à un groupuscule d’extrême droite, ou tout au moins qu’il en est sympathisant, Karim déplore dans son courrier le soutien administratif et politique dont bénéficie Christophe M., qui n’a encore fait l’objet d’aucune sanction. Car en fait loin d’être inquiété dans ses fonctions, le fonctionnaire incriminé serait, selon nos sources, pressenti pour diriger… la future police municipale que Mme Hidalgo envisage de créer. 

« tous se donnent la main pour étouffer les affaires et les confiner dans l’enceinte du château »

Un identitaire à la tête de la police municipale de Paris ?

« C’est que Christophe M. est un homme de réseau,  explique Karim. Référent déontologique, membre du syndicat – très à droite –  des cadres UCP, membre de l’association des administrateurs de la Ville de Paris, Christophe M. fait ce que Karim appelle “du présentiel, très fort.” . Christophe M. a le profil du fonctionnaire indéboulonnable, car surprotégé. Plus inquiétant « M. M a fait partie, lors de la dernière session, du jury de comité de sélection des administrateurs au tour extérieur de la ville de Paris », une instance chargée du recrutement interne d’agents de catégorie « A ». Pas sûr que la présence de Mr Christophe M. au sein de ce jury contribue à promouvoir la diversité. Karim, lui, a dû saisir le tribunal administratif pour contester le refus d’octroi de la Protection Fonctionnelle –prise en charge des frais d’avocat pour les fonctionnaires victimes d’une infraction à l’occasion ou en raison de leurs fonctions.

Pour Karim, son supérieur hiérarchique est loin d’être un cas isolé. Selon lui : « les agents d’origine maghrébines et antillaises ont 4 à 5 fois moins de chance d’être promus soit au choix, soit à l’examen professionnel ». Tout porte à croire, selon lui, que la Mairie de Paris a délibérément ignoré les recommandations de l’INED afin de réduire les facteurs de risques de discrimination.

Plus grave encore, les dispositifs d’écoute et de prévention pour lutter contre le harcèlement moral, la discrimination ou la souffrance au travail relèvent pour Karim du « village Potemkine ». Qu’il s’agisse de la médecine préventive, du service d’accompagnement et de médiation, des syndicats ou bien du Défenseur des droits, « tous se donnent la main pour étouffer les affaires et les confiner dans l’enceinte du château ». « La discrimination systémique est enkystée dans la culture administrative de la ville de Paris explique un ex-adjoint de Bertrand Delanoë sous couvert d’anonymat, et ces discriminations visent autant les français d’origines extra communautaire que les agents qui appartiennent aux échelons inférieurs. Racisme, mépris de classe et esprit de caste. »

Seule, la conseillère d’opposition Danièle Simonet s’est émue, lors d’un conseil municipal du sort réservé à celui qu’elle a qualifié de lanceur d’alerte. « Comment expliquez vous, interpellant Anne Hidalgo lors de sa question d’actualité, que ce soit le fonctionnaire qui ait lancé l’alerte qui fasse l’objet d’une procédure de licenciement ? » En réponse à l’intervention de l’élue de la France Insoumise, Anne Hidalgo a d’abord envoyé son lieutenant, Véronique Levieux, expliquer avec force détails ce que Karim désigne comme « le village Potemkine », avant de prendre la parole et de qualifier de mensonges les allégations de la conseillère d’opposition, en martelant : « (…) Je ne n’accepte pas ce que vous véhiculez sur le  fonctionnement de la ville ».


Il y a 7 mois, nos révélations sur l’affaire Sabine Vorin déclenchaient l’ouverture d’une enquête de l’Inspection Générale et la suspension du Directeur Général des Services (DGS) de la mairie du 20ème,  Didier Conques.

Selon nos informations, cette affaire serait loin d’être un cas isolé. Une étude de l’INED -Institut National d’Etudes Démographiques- sur la question des discriminations au sein de la mairie de Paris avait même été réalisée à la demande de l’ancien Maire de Paris Bertrand Delanoë; cependant « l’administration municipale, affirme un de ses ex-adjoints, s’est  aussitôt empressée d’enterrer ses conclusions et ses recommandations».

Conclusions de l’étude? La discrimination au sein de l’administration parisienne ne relève plus d’un dysfonctionnement imputable à tel ou tel mauvais élément mais bien d’un système qui assure l’impunité des agents qui en sont responsables. Un système qui pourrait même placer un identitaire à la tête de la Police municipale parisienne qu’Anne Hidalgo envisage de créer en cas de réélection.

Compte tenu du nombre important d’agents municipaux appartenant à des minorités, l’administré parisien serait loin d’imaginer un problème de discrimination systémique. D’après cette étude, les français originaires des Départements d’Outre-Mer (DOM) et d’Afrique ainsi que leurs descendants sont effectivement bien représentés, voire largement surreprésentés, mais plutôt dans les emplois de catégorie C.                                                C’est effectivement dans la catégorie hiérarchique la plus basse de la fonction publique que se concentrent plus de 80%  des emplois occupés par ceux que l’on appelle joyeusement la diversité, alors même que ces agents ne constituent qu’un quart des effectifs globaux.

Un phénomène généralement expliqué par le faible niveau de qualification des populations citées. Cependant, une analyse plus poussée démontre que les descendants des DOM et d’Afrique, malgré des niveaux d’études supérieurs à ceux de leurs parents, restent désespérément coincés au rez-de-chaussée de l’échelle hiérarchique: près des 3 quarts d’entre-eux occupent des emplois inférieurs à leur niveau de qualification.

Ce qui se joue au sein de l’administration municipale semble refléter le fonctionnement de son pendant politique: au conseil municipal, sur 163 élus Parisiens, seulement 10 sont d’origine extra-communautaire, soit 6%. Quant à l’équipe des adjoints au maire qui compte 27 personnes, une seule revendique une origine extra-communautaire. A titre de comparaison, le conseil municipal de Bruxelles compte 23 conseillers communaux d’origines africaines et maghrébines sur un total de 49 soit 47% de belges d’origines extra-communautaires.

Anne Hidalgo cristallise depuis son entrée en fonction, toute la haine du « bobo » exprimée  par la droite et la fachosphère. Vérification faite, ce n’est certainement pas pour sa lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité. La Maire de Paris appartient à une gauche qui ne fait même plus semblant de promouvoir l’égalité, mais qui semble se contenter de son inscription sur le fronton des édifices publics.

Les différents protagonistes de la Marie de Paris n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Ali Ouicène