« Une photo vaut parfois 1000 mots ». Il suffit en effet de regarder le trombinoscope de l’écrasante majorité des conseils municipaux de notre pays pour appréhender une réalité qui ne souffre d’aucune équivoque : la sous représentation endémique des minorités visibles au sein de ce qui constitue la première strate du pouvoir politique.

Le CJL s’est penché sur les cas de deux villes de la région parisienne, Créteil et Bondy pour observer les difficultés rencontrées par deux candidats d’origines maghrébines dans leur course à l’investiture. Devant ce qui s’apparente à une véritable course d’obstacles, force est de constater que les vieilles habitudes ont la vie dure. “

Alors que la campagne des élections municipales battait son plein avant d’être soudainement interrompue par la pandémie du coronavirus, certaines listes de candidats peinaient, plus que de raison, à démarrer. En effet, le Comité Justice et Libertés (CJL) a pu constater que certaines des candidatures, tous partis confondus, semblent encore subir des caractéristiques tendant à la discrimination.

En l’espèce, des pratiques anti-démocratiques, anti-statutaires et arbitraires, allant parfois à l’encontre des règlements intérieurs des partis, ont pu être constatées pour les partis La République En Marche (LREM) et Europe Écologie-Les Verts (EELV) sans qu’aucune explication n’ait pu être apportée aux candidats.

Enquête sur des systèmes qui gangrènent encore les « nouveaux » mouvements politiques à l’image de LREM: soutenir un inconnu plutôt que le représentant local, malgré ses réussites.

LREM: Accusations de pratiques discriminatoires

Le CJL avait été alerté par ses membres sur le cas de Karim Allouache, conseiller municipal LREM à Bondy (Seine Saint -Denis). M. Allouache est banquier d’affaire, anciennement professeur à SciencesPo Paris (de 2009 à 2015) et aujourd’hui à l’Université de Cergy, cumule trente années de carrière à son compteur. Il se lance en politique locale alors qu’il s’inquiète de l’état de délabrement de l’école de son fils et interpelle le premier adjoint au Maire de l’époque à ce sujet qui lui aurait répondu « Je n’ai pas de logement, je n’ai pas de travail à vous offrir et si vous n’êtes pas content, lancez votre liste ».

Karim Allouache se lance pour la première fois aux municipales en tant que colistier UDI-LR et récolte 41,89 % de suffrages quand LR récoltait historiquement bien moins dans cette ville de 60 000 habitants. Après quelques divergences de fond avec l’UDI, il décide de quitter le parti politique et rejoint peu après le mouvement LREM. Il décide de soutenir la candidature d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2017 et devient délégué LREM de la ville la même année. Il s’agit pour Mr Allouach de conduire la campagne au sein de la ville en tant que responsable de la structure locale. Une responsabilité qu’il honorera pour conduire la campagne des Législatives 2017 et des Sénatoriales 2018 durant lesquelles, malgré son expérience politique au sein du mouvement, il est écarté de la liste des huit personnes proposées par le candidat et ce, malgré toutes les preuves de bonnes conduites militantes depuis la naissance du mouvement.

Karim Allouach

Unique candidature LREM dans la ville de Bondy ignorée par le Conseil National d’Investiture (CNI)


En Juillet 2019, il dépose sa candidature pour l’investiture municipale en 2020. Alors que les délibérations du CNI sont en cours Karim découvre quelques jours plus tard, dans un article du Parisien, que d’après le secrétaire départemental d’alors, M. Alexandre Aidara, le candidat Laurent Cotte serait soutenu par LREM. Karim demande alors les raisons pour lesquelles cette information se retrouve dans la presse sans qu’il en soit informé et au mépris du processus de nomination encore en cours. Il reste sans réponse. Ni Stanislas Guerini, ni aucun membre responsable de LREM ne lui donnent de raison objective à sa non-nomination.

Le CJL a contacté Mme Eléonore Pelle, nommée après l’investiture d’Alexandre Aidara, tête de liste LREM à St Denis et référente En Marche 93 par intérim, Alain Richard et Marie Guevenoux, co-présidents de la CNI pour avoir plus de précisions.
Alain Richard a expliqué qu’une stratégie « de rassemblement autour de candidats souhaitant un partenariat clair avec LREM a été retenue par nous dans 290 communes au total sur les 520 où nous engageons le mouvement ; ce n’est donc pas du tout un cas isolé, notamment en Ile-de-France. »  sans que d’autres exemples ne soient énumérés par l’intéressé.

« De toute ma carrière, je n’ai jamais été confronté à du racisme et là force est de constater que face à une stratégie politique qui va à l’encontre de toute logique, il y a de quoi se poser des questions quant à un certain nombre d’élus qui ne souhaitent pas voir des Noirs ou des Arabes en tête de liste. » Karim Allouach, membre de LREM

Un militant dont le profil sociologique colle parfaitement à l’identité politique de LREM, qui de surcroit a mis son expérience politique au service du parti lors de 3 scrutins électoraux est finalement écarté au profit d’un outsider sans lien avec LREM. Des différents cas signalés au CJL, le même mécanisme se répète sans pour autant se gripper. Un acteur local fait le travail militant de longue haleine puis est écarté pour qu’un autre soit parachuté et tire profit de son travail.

Sans réponse de sa propre formation politique et voyant que d’autres candidats ont été investis par LREM sans même en être membres, Mr Karim Allouach ne mâche pas ses mots et tire à boulet rouge en accusant la direction du mouvement d’actes discriminatoires: « De toute ma carrière, je n’ai jamais été confronté à du racisme et là force est de constater que face à une stratégie politique qui va à l’encontre de toute logique, il y a de quoi se poser des questions quant à un certain nombre d’élus qui ne souhaitent pas voir des Noirs ou des Arabes en tête de liste. »

Accusation de dénigrement et filatures: la complaisance d’EELV envers des membres qui en harcèlent d’autres

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Linda Bouifrou

A Créteil, le cas de Mme Bouifrou a attiré l’attention du CJL dans la mesure où des stratégies politiques ont mené des membres de EELV à harceler par différents moyens cette candidate à l’investiture municipale.

Mme Bouifrou a 45 ans et est Docteure en Géographie du développement. Elle est engagée à Créteil depuis plus de quinze ans et a décidé de se lancer en politique lorsqu’un groupe EELV en 2013 l’avait sollicitée pour la campagne des Départementales 2015.

Malgré les échecs et une vague de départs d’un groupe de militants entre 2015 et 2017, elle mène de front la campagne d’affichage des législatives 2017 avec ce qu’elle appelle « Les amazones », une cinquantaine de femmes volontaires rencontrées au fil de son expérience associative locale pour tracter et coller des affiches avec elle. Avec cette mobilisation, elle se félicite d’un score meilleur que les scrutins précédents pour EELV et un taux de participation en hausse sur la ville de Créteil.

Elle continue à animer seule les activités du groupe local jusqu’à aujourd’hui. Son travail est remarqué par le Conseil Politique Départemental (CPD) qui entre en contact avec elle pour la féliciter et pour ranimer les activités du même groupe local. Elle reçoit une visite d’une délégation du CPD et demande une assemblée générale afin d’élire officiellement le représentant du groupe local. Elle projette alors de s’y présenter en tant que responsable afin de pouvoir avoir accès à la “mailing-list” des adhérents EELV de Créteil. Une demande faite au CPD puis au Conseil Politique Régionale (CPR qui reste lettre morte).

Elle continue les activités de sensibilisation aux problématiques écologiques dans la ville durant deux ans, sans assistance du CPR ou du CPD. Elle réussit à faire adhérer de plus en plus de personnes au groupe local EELV. En d’autres termes, Linda Bouifrou a maintenu en vie le groupe EELV local alors que la hiérarchie même du parti n’a offert aucune aide ni soutien.

Une mise sous tutelle, une médiation fantôme et des pratiques anti-statutaires ?

Mme Bouifrou dit apprendre « plus tard, par accident et par voie de mail » que son groupe local a été mis sous tutelle sans l’en informer et sans qu’aucune raison objective ne lui soit délivrée. A cette question, le porte parole départemental du Val-de-Marne (94) Mr Jacques Grenier a déjà pris la parole en faveur de Mme Bouifrou et a exprimé auprès du CJL ses réserves : « Rétrospectivement, je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu des raisons objectives de mettre le groupe cristolien sous tutelle. De mon point de vue, cette décision aurait dû faire l’objet d’un avis exprimé par un vote formel par le CPD94 après une étude contradictoire par ses soins. »

A l’approche des élections municipales, elle fait connaitre ses intentions de se présenter et entend des rumeurs de parachutages dans sa ville lors de l’université d’été d’EELV. Les rumeurs pointent vers le nom de Mr David Walet Cousy coqueluche des « anciens » déserteurs du groupe local, ceux qui avaient quitté le groupe et laissé Linda Bouifrou faire le travail de terrain pour le maintenir en vie.

Le 20 Novembre, une Assemblée Générale est organisé sous la supervision de Mme Léa Balage, alors secrétaire régionale d’EELV, comme le prévoit le Règlement Intérieur Nationale EELV.

En Assemblée Nationale du 20 novembre, Mr David Walet Cousy et ses soutiens contestent l’investiture de Mme Bouifrou, pourtant élue par les adhérents. Une contestation qui va à l’encontre du règlement intérieur national (2016) du parti, qui stipule page 9, que “La personne venant d’adhérer a le droit de vote dès que l’adhésion devient effective aujour de l’approbation du Conseil politique régional ou de l’expiration du délai d’instruction, sauf pour les votes de désignations aux fonctions internes, les votes concernant les stratégies électorales et les votes de désignation des candidat.es aux élections externes, pour lesquels la personne venant d’adhérer acquiert le droit de vote après un délai de trois mois, qui court à compter du jour de l’approbation du Conseil politique régional ou de l’expiration du délai d’instruction et prévient des tentatives d’entrismes dans la section II-1-3. Or, le CJL a pu constater par différentes sources que Mr David Walet Cousy et ses soutiens n’ont pas obtenu le droit de vote car leur adhésion au parti n’avait pas plus de trois mois.

Malgré cela, la co-secrétaire régionale Léa Balage a proposé une médiation rapportée par Le Parisien mais dont les intéressés n’entendront jamais parler. Le temps de mettre en place ladite médiation, Mme Léa Balage interdira à Mme Linda Bouffrou d’utiliser le logo EELV dans ses tracts et communications publiques, alors qu’elle n’en a pas l’autorité tandis que David Walet Cousy revendique la dénomination EELV dans la presse et se sert de ladite page Facebook officielle d’EELV Créteil. En date du 14 Février, le CJL a pu constater que les publications de David Cousy figurent toujours sur la bannière et sur des postes Facebook et Twitter, malgré la confirmation officielle de Mme Linda Bouifrou, le 11 Février par le CPR en tant que tête de liste à Créteil.

A cela, la nouvelle secrétaire Départementale Mme Sophie Nicklaus ( Mme Lea Balage ayant passé le flambeau entre temps, ndlr) répond au CJL que « EELV ne peut avoir le contrôle sur toutes les pages Facebook EELV qui se créent dans toutes les villes ». Mais quid des identifiants de la page officielle qui sont tombés entre les mains de Mr Wallet Cousy ?
Plusieurs sources internes, dont des cadres du parti soutiennent au CJL qu’un congrès national s’est tenu fin 2019 à Saint-Denis, 3 des 4 motions totalisant 56% des voix ont critiqué les mauvaises habitudes de la direction sortante emmenée par Julien Bayou, notamment au niveau des outils de communications et une tendance à ne pas toujours en partager l’accès au sein du parti.

Harcèlement et atteinte à la vie privée

Le 18 février 2019 à quelques semaines du lancement de la campagne des municipales, c’est le coup de tonnerre. Le Conseil Statutaire EELV invalide la candidature de Mme Linda Bouifrou au motif « qu’elle n’avait pas confirmé son adresse postale à Créteil malgré les relances du secrétariat EELV Ile-de-France. »

Or le CJL est en mesure d’affirmer que cette demande a été formulée une seule et unique fois, de manière informelle par Léa Balage le 2 décembre 2019 et qu’aucune demande officielle n’a été adressée à Mme Bouifrou à ce sujet.

Enfin, au sein du groupe, c’est un autre coup bas et une autre fausse rumeur qui ont été lancés pour lui prêter une relation amoureuse avec son colistier Irfann Burahee. Bien que cela relève de l’ordre de la vie privée et que cela ne contrevient pas aux status du parti, cette rumeur fut relayée en place publique malgré le démenti de l’intéressée. A cela, Mr Jacques Grenier confirme au CJL les comportements diffamant Mme Bouifrou: « Début décembre 2019, ayant été informé verbalement que Mme Linda Bouifrou serait en couple avec Irfaan Burahee, je l’ai mentionné à mes collègues de la CRE. Nous avons alors unanimement statué que cela n’étant pas interdit par le Code électoral ni par les Statuts, cet argument n’avait lieu d’être retenu dans nos débats. J’ai été surpris de le voir réapparaître dans des mails courant janvier 2020. Après que j’ai fermement exprimé mon indignation, je n’en ai plus revu. » Cette rumeur pouvait non seulement porter préjudice à la crédibilité de sa candidature mais exposerait tout autant la vie privée de Mme Linda Bouiffrou.

Le CJL avait de son côté été alerté sur le fait qu’un incident impliquant un membre de l’« ancien groupe » pris en flagrant délit de filature de Mme Bouifrou (camera et deux témoins à l’appui) pour prouver qu’elle ne réside pas à Créteil. L’intéressée s’est pour sa part réservé le droit de porter plainte auprès de la police.

Tous ces éléments mis bout à bout dressent un tableau bien entaché de la transparence au sein même du parti EELV:
Non-réponse du secrétariat régional aux demandes d’AG de Mme Bouifrou afin de nommer un responsable local à Créteil depuis 2018.

Non-délivrance des outils de communication des pages officielles du groupe local à la candidate.

Une attitude anti-démocratique et anti-statutaire de la part d’une liste dissidente menée par David Welat Cousy vis-à-vis de la candidate Bouifrou et ce, sous la supervision de l’ex-secrétaire régionale d’alors, Léa Balage, à Créteil, le 20 Novembre.
Des actes de cyber-harcèlement et témoignages de filature de la candidate en vue de la décrédibiliser sur sa vie sentimentale et sur son lieu de domicile.


Ces éléments font peser un lourd soupçon de campagne de discrimination à l’encontre de Mme Bouifrou tendant à rendre sa campagne électorale plus difficile que celles d’autres candidats voir même de la saboter. A cela s’ajoute le fait que le CJL s’interroge sur la partialité des instances de décisions et de leur proximité vis-à-vis de l’ancien groupe, privilégiant « le copinage avant l’intérêt du parti » ainsi que le rapportent certains adhérents, y compris de villes voisines voire, de la région IDF.


Seule les instances dirigeantes d’EELV sont en mesure de donner les moyens à la candidate de mener campagne dans un climat serein et équitable et à sanctionner les membres qui se rendent responsables de cette perte de temps et d’énergie pour les candidat.e.s qui souhaitent mener à bien le projet politique en commun, et dans un intérêt démocratique. Dans le cas contraire, quelle différence y aurait il entre EELV et les autres partis politiques décriés pour les mêmes raisons et discrédités pour leurs pratiques discriminatoires?


Le CJL est en mesure d’affirmer que des méthodes similaires ont pu être constatées dans une autre ville du département du Val-de-Marne sans qu’aucune sanction ne soit prononcée à l’encontre de ceux qui, par stratégie politique, pourraient être soupçonnés d’entrisme. Il s’agissait là encore d’adhésion de candidat d’un groupe de personnes empêchant les membres plus anciens de se présenter à l’investiture EELV, méprisant le règlement et les statuts EELV rédigés (page 34). Le candidat concerné avait préféré l’anonymat pour éviter les représailles.


Le CJL a constaté encore une fois que dans cette autre ville du département, le candidat visé porte un nom à consonance nord-africaine et qu’aucune sanction dissuasive n’a été prononcée vis-à-vis des personnes qui ont enfreint les règles du parti en menant une liste dissidente, envers et contre tous. Le CJL a aussi pris soin de s’assurer que les candidats à l’investiture municipale ont scrupuleusement respecté les règlements intérieurs EELV et statuts des partis concernés. Ce fut le cas pour Karim Allouach et Linda Bouifrou et la grande question qui demeure, est de savoir combien d’autres candidats sont dans la même situation.

Les deux candidats avaient pourtant choisi LREM et EELV, deux partis qui prétendent l’un et l’autre régénérer la classe politique et s’affranchir des méthodes qui ont trop longtemps favorisé un entre soi masculin monochrome.
Les difficultés rencontrées par ces candidats pour intégrer les états majors-politiques démontrent que la dérive « séparatiste» qui inquiète tant le chef de l’état est bien réelle mais n’émane pas de ceux qu’il stigmatise.