par Hassna Aalouach, journaliste d’investigation et auteure du livre “Elles toutes, leurs histoires – elles cherchaient l’amour, pas la mort” disponible en auto-édition

A l’heure où j’écris cette tribune, au moins 20 femmes ont été tuées par leurs compagnons ou ex- compagnons en France en 2020. En 2019, elles étaient au moins 144. Cent quarante-quatre. Un profond sentiment de tristesse m’habite quand je pense à toutes ces victimes. Une vive révolte aussi. La justice française ne protège pas ces femmes. Dans de nombreux cas, ces femmes ont été rejetées par des policiers, punies par des juges. Ces acteurs de la société censés représenter une protection ne sont-ils pas en réalité les complices de leurs meurtres ?

Il faut réformer notre système judiciaire et la prise en charge des victimes de violences conjugales. Combien de femmes vont encore mourir avant qu’une réelle action politique ne leur vienne en aide ?

Dans mon livre Elles toutes, leurs histoires je raconte l’histoire de ces 152 victimes de féminicides depuis janvier 2019. Souvent , ces femmes ont tenté d’être protégées par les autorités mais elles ont été rejetées. Comment accepter une telle injustice ? La question du droit de la femme a toujours été centrale pour moi, de par cette aspiration, mon métier de journaliste et mon engagement associatif j’ai acquis une expérience de terrain qui m’a laissé sans voix. J’ai toujours essayé de combattre l’injustice par ma vocation de journaliste et par mes engagements en faveur des droits humains.

La question du droit de la femme a toujours été centrale pour moi, de par cette aspiration, mon métier de journaliste et mon engagement associatif j’ai acquis une expérience de terrain qui m’a laissé sans voix. J’ai toujours essayé de combattre l’injustice par ma vocation de journaliste et par mes engagements en faveur des droits humains.

J’ai accompagné bien des femmes battues dans les institutions de la République, je leur ai promis qu’elles y trouveraient de l’aide. Aujourd’hui, après toutes ses années de désillusion, force est de constater que toutes celles qui me disaient « on va avoir plus d’ennuis que d’aide » avaient hélas raison.

Souvent ce fût le cas.

J’ai vu des femmes être confrontées à leurs bourreaux par la police pour les dissuader de porter plainte.

J’ai accompagné des femmes violentées au commissariat où les policiers m’ont expliqué ne pas pouvoir prendre la plainte car les coups n’apparaissaient pas et de revenir la prochaine fois s’il y avait des marques visibles. D’autres, moins explicatifs se contentaient de refuser catégoriquement de prendre la plainte sans aucune négociation possible. J’ai vu nombre de victimes de violences se faire broyer par le système judiciaire français toutes ses années.

En France, les tribunaux restent la chasse gardée du bon vieux patriarcat, et le droit de filiation prime sur le droit de la femme. Il ne fait donc pas bon être mère séparée ET victime de violences. J’ai vu nombre de femme ayant des enfants se faire poursuivre par des procureurs peu scrupuleux pour non-présentation d’enfants alors même que ces femmes craignaient pour leurs vies et celles de leurs enfants. Convocations multiples au commissariat de ces victimes de violences, intimidations et menaces de condamnations sont banalisées dans ces affaires. J’ai vu nombre de femmes être condamnées par les tribunaux pour « procédure abusive » au nom de l’article 700 du Code civil si elles osaient faire la démarche spontanément de mesure de protection sans attendre le long processus judiciaire. Pourtant, c’est écrit dans les formulaires noir sur blanc et sur le site du gouvernement : une femme victime de violences est censée pouvoir faire une demande de mesure de protection seule et à tout moment de la procédure. On le répète aussi dans les campagnes de communication contre les violences faites aux femmes mais dans la jungle judiciaire la réalité est tout autre. Une réalité froide et cruelle. Les violences augmentent dans le contexte de séparation, il est donc tout à fait cohérent que ces femmes demandent une mesure de protection après le lancement d’une procédure de séparation. Pourtant, les juges aux affaires familiales n’hésitent pas à condamner les femmes victimes de violence qui déposent une demande de mesure de protection à

des amendes à verser à leur bourreau. Ils estiment qu’une procédure de séparation étant déjà en cours elles n’avaient pas à « surcharger » le tribunal d’une nouvelle procédure.

Un système opaque, des procédures incompréhensibles pour le grand public et des injustices profondes. Voici la réalité du terrain loin des grenelles et autre communication gouvernementale. Le traitement des dossiers de violences conjugales par les tribunaux saturés n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu.

J’appelle le gouvernement à réagir et à lancer une enquête indépendante pour comprendre pourquoi Pascaline tuée le 24 janvier 2020 à Billy-Montigny qui a porté plusieurs fois plainte contre son ex-mari Patrick, ancien élu et ancien adjoint au maire a vu toutes ses plaintes classées sans suite par le Procureur ?

Pourquoi les plaintes déposées par cette femme battue ont été déclarées « perdues » par les policiers ?

Pourquoi ces acteurs de notre système judiciaire ne sont pas sanctionnés pour leurs manquements qui ont permis son assassinat ?

J’aimerais comprendre aussi pourquoi Anne-Sophie qui était battue et dont le mari avait été condamné deux fois a été tuée le 03 janvier 2020 alors qu’elle avait appelé les gendarmes à l’aide ?

Ce jour là, elle avait pourtant supplié les gendarmes de venir à son secours. Trouvant porte close et malgré le passif du mari bien connu des forces de l’ordre, les gendarmes ne vont pas insister et partir laissant Anne-Sophie aux mains de son meurtrier. Elle sera retrouvée morte étranglée et violée par son mari. Son vagin était recouvert d’ecchymoses tant il s’est montré violent. Voilà le cœur du problème : la prise en charge des victimes par le système judiciaire.

Depuis le confinement lié à la crise sanitaire du Covid -19, les violences conjugales ont augmenté de 30 % au moins. Quelle est la réponse du gouvernement ?

La possibilité de signalements dans les pharmacies, annoncée en grande pompe de surcroit quelle révolution ! Pas d’annonce sur une éventuelle réforme du système judiciaire ? C’est pourtant le problème majeur, on ne les entend pas non plus sur la prise en charge des victimes inadaptée dans les commissariats. A quoi bon signaler des violences si la plainte est classée sans suite quand elle est prise ou si le procureur décide de poursuivre cette femme si elle s’enfuit avec ses enfants ?

Marlène Schiappa a enfoncé le clou en annonçant que « les demandes de mesures de protection continueront d’être traitées normalement ». Quelle aubaine ! Mais c’est justement ce traitement judiciaire habituel qui pose problème. En France, une demande de protection sur deux est refusée. En 2018, il n’y a eu que 3332 demandes de protection dans les affaires de violences conjugales vu le parcours du combattant que cela représente pour les victimes et sur ces 3332 demandes la justice française n’en a accordé que 1672. En Grande-Bretagne, la même année la justice britannique en a accordé 20 000 à titre d’exemple. Les chiffres parlent d’eux –mêmes.

Au lieu d’enquêter sur ces graves dysfonctionnements de la justice française on nous parle de possibilité de signalements dans les pharmacies, quelle aberration.

Ce qu’il faudrait surtout comprendre c’est pourquoi un an avant Anne-Sophie, Gulçin avait été tuée le 28 janvier 2019 alors qu’elle avait déposée 5 plaintes pour violences conjugales ?

Pourquoi malgré qu’elle ait supplié le juge pour obtenir une ordonnance de protection et ne pas être confrontée à son bourreau lors de la remise des enfants pour le droit de garde le juge n’a pris aucune mesure pour la protéger ?

Le juge a ordonné un droit de garde pour le père avec confrontation avec Gulçin lors de la remise des enfants. Ce 28 janvier 2019, cette maman de 4 enfants sera poignardée par son bourreau devant ses enfants pour jouir de son sacro-saint droit de garde. L’essentiel étant de préserver le lien de ce père avec ses enfants au détriment de la vie de la mère si besoin.

Je m’égare, recentrons-nous sur les faits il parait que trop défendre le droit de la femme fait tâche dans notre société. Je ne veux pas être taxée de féministe hystéro-anarchiste donc je vais m’en tenir aux faits et citer encore quelques uns de ces 152 féminicides présents dans mon livre et qui démontreront si besoin est que le système judiciaire doit être réformé.

Pourquoi Julie, maman de deux enfants séparée et victime de violences depuis des années, qui avait porté plainte contre son ex -mari a été tuée le 03 mars 2019 ?

Le juge des affaires familiales malgré les 5 plaintes, les menaces de mort et les témoignages a décidé de lui retirer la garde de ses enfants et de la confier à Bruno son ex-mari violent. La double peine.

Expliquez-moi aussi chère Marlène Schiappa pourquoi la demande de mesure de protection de Julie a été refusée ?

Le 03 mars ayant le juge de son côté et la garde de ses enfants son ex-mari aura le champ libre pour abattre Julie de deux balles.

Expliquez-moi chère secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes pourquoi alors que plus d’un tiers des femmes tuées par leur compagnons ou ex-compagnons depuis janvier 2019 l’ont été par arme à feu et que la question de l’interdiction du port d’arme pour les hommes violent n’est pas clairement posée ?

Quel message envoie un gouvernement qui se dit enclin à combattre les féminicides et qui dans les faits s’en rend complice par son inaction ?

Pourquoi Madame la ministre de la justice le féminicide n’est toujours pas reconnu pénalement ?

Le système judiciaire dans son ensemble doit être réformé et les dysfonctionnements judiciaires doivent être mis en lumière par une enquête indépendante. Un simple audit comme annoncé dans le grenelle de septembre par le gouvernement ne suffit pas. Des sanctions doivent être prises à l’encontre de ces acteurs de la justice censés représenter une protection et qui se sont en réalité rendus complices de ces féminicides par leur inaction.

Combien de femmes allons-nous encore enterrer cette année tuées par leurs compagnons ou ex- compagnons ? Quand allons-nous identifier et sanctionner les policiers, les juges et les procureurs qui n’ont pas protégé ces femmes et ont permis leur meurtre ?

Réformons le système judiciaire !

Hassna Aalouach