Conférence donnée à Bordeaux le 16 Mars 2019 à Bordeaux à l’invitation de l’association COJEP que nous remercions.
I.On domine parce qu’on le peut:
“La plus grande erreur du mouvement a été d’essayer d’organiser un peuple endormi autour d’objectifs précis. Commencez d’abord par réveiller les gens, puis vous vous pourrez passer à l’action.”
Malcolm X
Avant de pouvoir dominer une personne ou un groupe de personnes, le premier réflexe c’est de se demander si c’est possible.
Une fois qu’on pense que c’est possible, on se donne des raisons de le faire. Peu importe que ces raisons soient bonnes ou mauvaise tant que cette domination est dans “mon intérêt”.
Avant de s’engager dans une entreprise de domination, il faut aussi se la justifier à soi même et aux autres, lui donner une assise et une justification morale, expliquer que dominer les autres, c’est dans l’intérêt de tout le monde.
Comme le disait Jules Ferry, homme de gauche, considéré comme “progressiste” et père de l’école publique, qui a été tour à tour, maire de Paris, ministre de l’instruction et même président du Sénat:
“Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures”.
Jules Ferry
Cette déclaration, il ne l’a pas faite dans la taverne du coin mais au coeur de la République Française, c’est à dire au sein même de l’assemblée nationale, le 28 Juillet 1881.
” J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre.
Alexis De Tocqueville
Alexis de Tocqueville, un autre homme de gauche qui a aussi été député, fameux penseur qu’on étudie au lycée de la République, écrivait de son côté:
” J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre.
Et le même d’ajouter, après ces recommandations délicates :
” Quoi qu’il en soit, on peut dire d’une manière générale que toutes les libertés politiques doivent être suspendues en Algérie. “ (travail sur l’Algérie, Alexis de Tocqueville)
Je les cite pour vous donner une idée de l’imaginaire collectif que nous sommes sensés partager.
Cette justification de la domination, commence donc par la déshumanisation de celles et ceux qu’on veut dominer.
On le fait en accusant leur couleur de peau, leur religion, leur culture, leur origine ethnique, leur genre ou leur classe sociale, d’être la raison de leur infériorité et donc de la nécessité de les dominer.
La République Française depuis sa proclamation après la Révolution a déjà été structurée par des rapports de domination et concernant les populations non blanches, la République a toujours été une république coloniale.
On peut bien sûr évoquer les grands principes républicains pour rassurer sa bonne conscience, ou bien on peut prendre le CV de la république et juger sur pièce.
Certes il y a ces idéaux républicains de liberté et d’égalité, et de fraternité, d’État de droit, de droits de l’homme, de séparation de pouvoir et de refus de la tyrannie, mais concernant celles et ceux qu’on appelle les musulmans, les noirs, les Rroms et toutes les minorités non blanches, cette promesse est une promesse non tenue au mieux, un mensonge au pire.
On peut aussi citer le siècle des lumières comme siècle d’émancipation de l’individu et la proclamation d’idéaux de liberté.
Mais pendant ce siècle des lumières, l’esclavage lui continuait entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques.
Ce siècle des lumières n’a pas non plus mis un terme au génocide des indiens d’Amérique ni empêché l’Europe de convoiter le continent Africain, ses ressources et ses habitants.
Le siècle des lumières a peut être libéré l’homme blanc mais il a d’abord déshumanisé ceux qui ne le sont pas avant de justifier leur exploitation voir leur extermination.
Je remonte au XIXè pour que chacun parmi vous ici présent fasse le lien entre l’histoire de ce pays, son imaginaire collectif et ce qui se passe aujourd’hui.
Hier on a pleuré les morts des deux attentats islamophobes à Christchurch en Nouvelle Zélande qui ont fait 49 morts. Mais est ce que c’était une surprise?
Me concernant absolument pas. Nous vivons dans des sociétés structurées par le racisme et la violence qui cible les individus pour ce qu’ils sont. Et cette violence n’est jamais isolée.
II. De L’Enracinement De La Violence Raciste
La violence raciste n’est jamais un accident mais le fruits d’un système qui la conçoit et la légitime au plus profond de la conscience du groupe dominant; qu’elle soit physique, verbale, psychologique ou symbolique.
Le “choc” des responsables politiques et de la presse aussi bien en Nouvelle Zélande qu’en France sont une insulte à notre intelligence. Tant que les dominations structureront les sociétés occidentales, il y aura d’autres attentats comme on en a vus en Nouvelle Zélande.
Regardez la fréquence des polémiques nationales autour de la visibilité des musulmans et les mesures d’exception qui ont suivi:
_Le foulard à l’école et sa loi d’interdiction qui viole le principe même de laïcité
_Le foulard des maman d’élèves et la circulaire Châtel pour leur interdire les sorties scolaires
_Les polémiques sur la construction des mosquées
_Les polémiques sur le contrôle des mosquées
_Polémique autour du voile intégral porté par moins de 400 femmes mais qui a abouti à une loi
_Polémique sur les repas substitution
_Censure d’une conférence sur l’islamophobie à l’Université de Lyon II
_L’affaire Mennel
_L’affaire Maryam Pougetoux
_Les attaques contre l’association féministe Lallab (@AssoLallab)
_La mascarade Finkielkraut
_Le foulard sportif de Décathlon…
Après les attentats de 2015, l’État s’était donné pour mission, non pas de combattre le terrorisme mais de punir les musulmans pour ces attentats.
Plus de 5000 perquisitions, souvent de manière violente ont été conduites chez les musulmans, dans leurs mosquées et dans leurs commerces. Pour quel résultat? Moins de 1% d’entre elles ont mené à une enquête pour des faits liés au terrorisme.
Je dis bien “punir les musulmans” parce que les perquisitions et la mise à sac de lieux de cultes musulmans était injustifiable. Toutes les mosquées de France sont déjà sous surveillance, pourquoi les perquisitionner et tout casser à l’intérieur?
La réponse est simple: “envoyer un message à l’opinion publique française”.
L’année dernière plusieurs groupes d’extrême droite avaient préparé des attentats terroristes contre des musulmans.
D’autres militants d’extrême droite avaient ouvert des camps d’entrainement réservés aux blancs.
Des dizaines d’autres sont partis s’entrainer au maniement des armes et des explosifs en Ukraine.
D’autres encore se substituent à la police pour faire la chasse aux réfugiés; et lorsqu’ils veulent lever des fonds, ils le font au vu et au su de tous sur internet.
Toute cette violence se développe et se prépare avec un silence total de l’État.
Ce silence de l’État face à l’islamophobie est le même qu’on a pu voir pendant la polémique du foulard Décathlon.
Le magasin n’a pas reculé parce qu’ils avaient craint l’offensive islamophobe mais parce que leur personnel a été physiquement menacé et que ni le Président, ni le Premier Ministre, ni le Ministre de l’Intérieur n’ont réagit. Ce silence face au racisme, c’est la complicité de l’État.
Cette situation a créé une norme qui n’est pas nouvelle mais qui s’est renforcée avec le temps. Toute personne qui ose aller à son encontre est taxée d’islamiste (si on pense qu’elle est musulmane), ou d’islamogauchiste ou encore d’islamo-collabo si on pense qu’elle ne l’est pas.
Les polémiques qui ciblent les populations racisées à commencer par celles et ceux qu’on appelle les musulmans ne s’arrêteront pas. Et parce que les dominations structurent nos sociétés, nous risquons d’avoir d’autres actes de violence politique contre celles et ceux qu’on appelle les musulmans.
Cette violence s’est installée dans la durée et oser prétendre que les actes de violence raciste sont des accidents, c’est chercher à la minimiser pour ne pas avoir à réellement la combattre
III Pourquoi la République est une réponse non tenue pour les minorités
J’ai commencé mon intervention en parlant du racisme qui est consubstentiel à la République parce que les idéaux républicains sont un mirage et que parce que la République est une promesse non tenue pour les minorités.
Il faut comprendre que ces dominations auxquelles on fait face aujourd’hui s’inscrivent dans une longue tradition républicaine de justification de la hiérarchie des races. Qu’on le dise ouvertement ou non.
Aujourd’hui l’islamophobie fait converger des acteurs de gauche comme de droite et le socle commun de leur idéologie, c’est la suprématie blanche.
Le pouvoir est détenu par des blancs, les lois sont votées par des blancs, les normes sont définies par des blancs, l’histoire est racontée par des blancs (qui sont toujours les gentils et les plus intelligents)…
Lorsque je dis blanc, je n’essentialise personne. Lorsque je dis “blanc”, je parle de la construction historique, politique et sociale d’un groupe dominant et qui justifie cette domination comme un dû.
Lorsqu’une femme blanche se convertit à l’islam, elle sort de ce groupe et se retrouve elle même victime de la suprématie blanche.
Demandez aux personnes qui se retrouvent discriminés dès qu’on découvre leur conversion à l’islam et vous comprendrez de quoi je parle.
Nous sommes aujourd’hui en 2019 et la bonne nouvelle, c’est que beaucoup refusent cette domination et le font savoir. Les crispations identitaires, sont certes due à la frustration de voir toute une série de dominations remises en questions mais aussi parce que beaucoup refusent de rester invisibles et d’être réduit (e)s au silence.
Une des raisons pour lesquelles le racisme est aujourd’hui de plus en plus violent, c’est parce que ce refus se fait entendre et que les populations racisées ne veulent plus qu’on les berce d’illusions.
Parce que les dominations structurent nos rapports en France, le statut quo, c’est que les dominés acceptent leur position inférieures. Mais ces injonctions ne sont plus entendues.
Beaucoup ont compris qu’ils ne seront jamais les égaux des blancs s’ils continuent d’attendre leur générosité.
Et c’est parce que les populations racisées sortent de l’ombre et prennent la parole, les figures tutélaires de l’antiracisme d’hier sont devenues leurs pires ennemis.
Parce que la domination est la norme, celui qui la questionne est accusé de vouloir des privilèges.
Pour lutter contre cette domination, on a parié sur le tout juridique en estimant qu’il fallait prendre aux mots la République et donc lui demander d’appliquer les lois existantes. Trente ans après, on peut dire que le pari du tout juridique est un échec.
Comment peut on croire un instant qu’on peut gagner dans un jeu qui est truqué?
Pour commencer, la justice française n’est pas indépendante et la demande d’autonomie de la justice portée par les syndicats est sans cesse repoussée aux calanques grecques.
L’autre constat, c’est que le droit se rétracte comme une peau de chagrin. Les lois antiracistes sont rarement appliquées et pour ne pas avoir à les appliquer, on fait passer d’autres lois racistes au nom de la République et de ses idéaux,
L’association Nta Rajel (@Nta_Rajel_Off) a publié hier une tribune pour commémorer les 15 ans de la loi d’exclusion du 15 Mars 20014, celle qui a interdit le port du foulard dans les écoles publiques.
Cette année 2004 a été un tournant dans la justification du racisme en France. L’école de la République, censée être le socle du pacte républicain est devenue le champs de bataille idéologique où la gauche et la droite se retrouvent pour exprimer, chacune à sa manière, la justification du racisme.
Après l’interdiction du foulard en 2004, on a ouvert la boite de pandore et toute une série de lois ont été passées sur fond de discours raciste:
On libère les jeunes musulmanes en les excluant de l’école,
On les émancipe en les excluant du travail
On les respecte en excluant leurs mères des sorties scolaires
On les traite avec dignité en les virant de l’école pour port de jupes longues.
Si la femme musulmane arrive à passer tous ces obstacles, on lui interdit de s’exprimer publiquement. On parle d’elle tout le temps mais on ne l’invite jamais à parler par elle même, et si elle parle par elle même, peu importe ce qu’elle dit, son appartenance à la religion l’exclue de la race humaine si elle s’exprime en tant que musulmane.
Vous souvenez de Miryam Pougetoux? Vous vous souvenez de Mennel? Vous vous souvenez des soeurs Levy? Nadia Omani qui a été lynchée en place publique par la droite, la gauche et l’extrême droite pour s’être présentée aux élections législatives?
Nous sommes dans une arène où les règles n’arrêtent pas de changer pour que les gagnants soient toujours les mêmes. Et l’aboutissement de nos luttes c’est de parvenir à une nouvelle république.
Cette cinquième république est née dans la violence et ne continuer d’exister que par la violence.
Les dès sont pipés et il ne sert à rien de continuer d’espérer avoir une chance.
IV. Il est irresponsable d’attendre les faveurs des dominants
Je me tourne vers vous aujourd’hui pour vous demander s’il est politiquement et moralement justifiable d’attendre que les mêmes qui profitent des dominations raciales et sociales, aient une crise de conscience.
L’égalité ne s’obtient pas, elle s’arrache. Il ne suffit pas d’en appeler à la bonne conscience de l’État ou de celles et ceux qui jouissent de la suprématie blanche pour que les populations racisées surmontent les rapports de domination.
C’est à vous de faire en sorte qu’il est dans leur intérêt de mettre un terme à cette domination. Prenez n’importe quel exemple de lutte menée par le passé, peu importe le mode d’action, l’objectif était de provoquer “une tension”, comme l’écrivait Martin Luther King depuis sa prison.
C’est en créant cette tension qu’on arrive à faire prendre conscience qu’il est temps d’agir et non plus de s’adonner aux envolées lyriques sur l’universalisme et la fraternité.
Le mot tension vous fait peur? C’est possible et je peux l’entendre.
Mais j’aimerais vous demander, dans quelle situation pensez vous qu’un jour vous pourrez exiger que vos droits soient protégés et vos libertés défendues? Autour d’un repas de Noel à l’Elysée? Ou bien dans la rue, dans la presse, dans les tribunaux, sur internet, sur les campus d’universités et à travers les réseaux de solidarité qui nous manquent cruellement?
Je sais que beaucoup observent mes réactions, lisent mes tribunes et regardent mes chroniques et s’étonnent. Je sais aussi que beaucoup ont été secoués par ma chronique sur l’affaire Decathlon. Encore une fois, je peux l’entendre, mais que les choses soient claires; Je ne changerai rien, tant la situation de la lutte est catastrophique.
V. Pour exister en politique, il faut sauvent prouver son islamophobie
Qui peut encore croire que la simple dénonciation suffit à réparer une injustice? Je ne crois pas que crier à l’injustice et attendre de l’aide finira par faire aboutir nos luttes.
Bien au contraire, non seulement personne ne vous viendra en aide, mais en plus, il y a une prime à la domination et une prime spéciale à l’islamophobie. Quiconque veut se faire un nom n’a plus qu’à jouer cette carte pour se faire remarquer.
Le but n’est pas de se faire aimer, mais de se faire respecter. Et ce respect, on ne vous le donnera pas, vous l’arracherez ou vous continuerez de voir la situation s’empirer.
Rendez vous compte qu’il y a une prime à l’islamophobie et que ce racisme qui cible celles et ceux qu’on appelle les musulmans est un investissement politique à haut rendement et à risques minimes.
Regardez avec quelle facilité on déclenche une polémique islamophobe et avec quelle facilité on arrive à ses fins?
Ce sentiment d’impunité est certes hérité d’une culture du privilège et de la domination, mais c’est en grande partie dû à l’absence de réelle opposition.
Jamais aucun droit n’a été obtenu par la simple demande. J’estime pour ma part que faire preuve de modération par temps d’injustice radicale est un appel à ne pas faire aboutir une lutte.
Le radicalisation du discours raciste et l’emergence d’une société qui ne croit pas en l’égalité oblige chacun à sortir de sa zone de confort et à s’engager en faveur d’une contre projet social qui liquide l’héritage colonial et résolve la question raciale.
C’est donc notre rapport au pouvoir qui doit être revu. N’attendez rien de l’État, il n’est ni votre ami, ni votre allié et tant que vous refuserez de vous inscrire dans un rapport de force, il continuera de se mettre au service de celles et ceux qui appellent à votre domination.
Je sais que ma dernière chronique sur l’après Decathlon en a secoué plus d’un, je l’admets et l’assume. Et si je devais recommencer, je vous redirai la même chose parce que j’estime que mon rôle n’est pas de vous confortez dans vos certitudes ni de vous rassurer alors que le bateau est en train de couler.
Vous ne pouvez compter sur personne et de toute façons, personne ne viendra à votre secours tant que vous attendrez qu’on vienne vous aider.
L’être humain est comme ça. Tant qu’il n’est pas concerné, il ne fera jamais rien. Il pourra dire “oui c’est terrible” mais il zappera et passera à autre chose.
Nos luttes contre la domination n’ont pas commencé aujourd’hui et nous sommes les héritiers de celles et ceux qui se sont engagés hier.
Demandez leur si la simple dénonciation leur a suffit, et ils vous diront que non.
Si leurs luttes ont été récupérées et les figures historiques écartées, c’est parce qu’il fallait dépolitiser cette lutte et en faire une question morale.
Parce que faire du racisme une question morale, c’est n’obliger personne à agir. Depuis quand est ce que la morale a changé le monde pour le meilleur? Jamais. C’est toujours la convergence des intérêts qui y parvient.
VI Créer une tension “, ce que nous apprend Martin Luther King
Et c’est à chacun d’entre nous de faire en sorte qu’il soit dans l’intérêt des dominants de remettre en question les rapports de domination qui leurs profitent. Quand ils comprendront qu’ils perdront beaucoup, là ils se bougeront.
Mais que chacun se rassure, tout le monde ne peut pas être militant ou militante. Par contre chacun peut s’engager à son niveau. Si chacun fait de son mieux à son niveau en donnant de son temps, de son savoir faire, de son réseau ou de son argent, soyez rassurés, parvenir à l’égalité ne sera qu’une question de temps.
En retour, c’est aux activistes et aux organisations de rendre des comptes à celles et ceux qui les soutiennent. Il ne suffit pas de prendre la parole en public pour mériter ce soutien. Le soutien et adhésion du public n’est pas un chèque en blanc.
Nous avons l’obligation de nous inscrire dans une démarche collective et nous rendre compte que celles et ceux qui sont derrière nous méritent une sincérité sans faille et non pas qu’on se serve d’eux à des fins personnelles.
Individuellement, en tant qu’activiste, il n’y a rien à gagner mais que des coups à prendre. Les sacrifices à faire sont énormes et on ne peut durer dans le temps sans réseaux de solidarités. Et pour qu’un lutte aboutisse, on ne peut parler de libération, d’émancipation ou d’équité en se disant: “voilà ce que je m’autorise à faire et voilà ce que m’interdit”.
Pour être plus clair avec vous, imaginez que la France est un théâtre. Un théâtre avec ses acteurs, ses metteurs en scène, ses scénaristes et son public. Imaginez maintenant qu’il y a une pièce qui se joue et que tout le monde regarde.
Dans le hall d’entrée, il y a des gens qu’on ne veut pas laisser entrer parce qu’on estime qu’ils ne méritent pas ce privilège. Ceux qui sont à l’extérieur, ce sont les noirs, les arabes, les musulmans, les turques, les Rroms et toutes les minorités dont on ne veut pas.
Certains parmi eux cognent sur la porte et demandent juste à entrer, d’autres forcent la porter pour trouver une place assise.
D’autres encore, considérés comme les plus audacieux, ne veulent qu’une chose: “être sur scène”.
Alors on les fait monter sur scène, ils estimeront être les mieux lotis mais se rendront vite compte que la pièce jouée est une mascarade.
Ils parleront quand les autorisera et surtout, ils resteront à leur place.
Pour ma part, j’estime qu’il faut forcer la porte. Mettre un terme à la mascarade. Virer le scénariste et écrire une nouvelle pièce de théâtre dans laquelle chacun se reconnaitra et qui parlera à tout le public.
Oui je fais bien allusion à la France aujourd’hui et à son régime politique. Les injustices que nous vivons sont structurelles et exigent un nouvel imaginaire.
Les moyens d’y parvenir peuvent évoluer dans le temps mais jamais les objectifs. Et j’insiste sur le fait que cette lutte est un sport de combat ou, si vous préférez, une course de fond. Ce n’est pas toujours le meilleur qui l’emporte mais celui qui a pu résister assez longtemps jusqu’à ce que l’autre abandonne ou bien se rendre compte qu’il vaudrait mieux d’abandonner maintenant que de persévérer et de perdre encore plus demain.
Vous voulez des pistes de travail? Je ne peux parler que du CJL et j’insiste sur le fait que le CJL n’a rien inventé.
Avant toute chose, l’information pour nous est primordiale. On a commencé par la recherche et l’investigation pour justement mieux comprendre ce qui entretien les dominations en tous genres, identifier les acteurs qui les alimentent, les relais qui les légitiment, ceux qui les entretiennent et surtout les points faibles de ces systèmes de dominations.
Comment lutter sans être capable d’enquêter par soi même pour comprendre le problème? Je ne vais pas dépendre du calendrier d’une rédaction de journal/télé/radio pour orienter ma lutte.
L’autre point, c’est éducation populaire, pour conscientiser les esprits, qu’ils prennent la mesure du danger qui les guette et les former pour qu’ils puissent agir à leur niveau. On pourra parler mobilisation qui aboutissent lorsque beaucoup diront: “Maintenant je sais, et je sais que je dois le faire, pour qu’on puisse faire ensemble”.
Nous avons besoin de décentraliser la lutte, multiplier les acteurs, connecter les initiatives locales, nationales et internationales.
Ne confondez pas “unité” et “uniformité ou encore “leadership” et “hégémonie”.
La pluralité est primordiale pour que chacun ait sa place et les meilleurs endroits pour trouver sa place, ce sont les lieux sûrs où l’on peut apprendre, échanger, débattre sans crainte. Pour le CJL, ces lieux, ce sont les salles d’éducation populaire.
L’autre avantage de la pluralité et de la décentralisation c’est qu’elles nous rendent moins vulnérables aux assauts de l’État et des groupes dominants. C’est à dire qu’on multiplie les acteurs et donc on n’est plus tributaire des faiblesses d’un seul homme ou d’une seule organisation.
L’autre volet de l’action du CJL, c’est d’agir de concert avec d’autres organisations sur des actions stratégiques en justice avec deux objectifs: Ou bien l’évolution de la jurisprudence ou bien l’évolution de l’opinion publique.
Il faut mettre le législateur face à ses contradictions. Soit il se retrouve contraint d’appliquer les lois existantes ou bien il admet qu’il refuse de les appliquer et auquel cas, il précipitera la création de nouvelles tensions.
Celles là même qui mobilisent d’un côté et donne des chances au changement.
Quant aux alliances, elles sont nécessaires mais ne peuvent être faites qui vous êtes les égaux de vos alliés ou du moins qu’ils vous considèrent comme tels.
Un siècle d’histoire des luttes m’on convaincu qu’on ne délègue jamais sa lutte. Les premiers concernés doivent prendre leurs responsabilités et non pas attendre le sauveur issu des partis de gauche.
Après plus de vingt ans dans le milieu militant, je ne fais plus aucune différence entre la droite qui nous fait face avec le fusil du racisme, et la gauche qui nous retient avec la corde du paternalisme.
Le racisme est un choix politique qu’on fait consciemment pour en tirer profit, ou inconsciemment pour ne pas avoir à sortir de sa zone de confort et s’impliquer réellement…parce que quelque part: “le privilège blanc, ça du bon quand même”
On ne peut en aucun cas considérer comme allié une ou une organisation qui agit contre les droits et libertés des autres.
Ni la croyance en Dieu, ni les valeurs, ne peuvent justifier qu’on s’allie à une organisation qui appelle à une autre forme de domination. C’est pas parce qu’on n’est pas ciblé par une forme de domination qu’on ne doit pas la combattre et aider ceux qui la subissent. . La lutte pour les droits humains et libertés publiques est une et indivisible et lorsqu’un groupe est ciblé, tôt ou tard ce sont tous les autres qui finiront par l’être.
Depuis sa prison de Birmingham en 1963, Martin Luther King avait écrit sa célèbre lettre dans laquelle il exprimait sa déception envers les “modérés blancs” qu’il considérait être un obstacle à la marche vers la liberté:
“Je dois avouer que ces dernières années, j’ai été gravement déçu par le blanc modéré. Je suis presque arrivé à la regrettable conclusion que le principal obstacle du Noir Américain dans sa démarche vers la liberté n’est pas le le Ku Klux Klan, mais le modéré blanc, qui est plus attaché à “l’ordre” qu’à la justice; qui préfère une paix négative qui est l’absence de tension à une paix positive qui est la présence de la justice; qui dit constamment:
“Je suis d’accord avec vous sur le but que vous recherchez, mais je ne peux pas accepter vos méthodes d’action directe”; qui croit de manière paternaliste, qu’il peut fixer le calendrier de la liberté d’un autre homme; qui vit selon un concept mythique du temps, et qui conseille constamment au noir d’attendre une “saison plus convenable”.
La compréhension superficielle des personnes de bonne volonté, est plus frustrante que le malentendu absolu des personnes de mauvaise volonté. Une acceptation tiède est bien plus déconcertante qu’un rejet catégorique.”
Celles et ceux qu’on appelle les musulmans sont aujourd’hui le baromètre des droits humains et libertés publiques aujourd’hui mais aussi vers quel modèle de société nous allons.
Comme toute forme de racisme, l’islamophobie commence par des idées, s’exprime avec des mots, répandis via une presse partisane, avec l’assentiment du pouvoir. Et comme toute forme de racisme, l’islamophobie commence par des mots et se termine en génocide: Srebrenica, les Rohingya, les Uyghours.
Je rappelle que le génocide perpétré contre les musulmans bosniaques s’est déroulé au coeur de l’Europe.
Quelle a été la réaction François Mitterrand, président de la France au moment des faits?
“La Bosnie n’a pas sa place dans une Europe chrétienne et que les britannique ont raison de penser de penser qu’il s’agit là d’une restauration douloureuse mais nécessaire de l’Europe Chrétienne”
L’attentat terroriste de ChristChurch a été perpétré par un homme qui a mûri son acte en France. C’est la théorie du grand remplacement qui l’a motivé. Et Renaud Camus qui en est l’auteur a pu se retrouver sur France Culture et invité comme un respectable intellectuel. Et qui l’a invité? Le Finkielkraut National qui a lui même inspiré un autre terroriste d’extrême droite, Anders Breivik.
De l’autre côté du spectre politique, c’est un autre charlatan de gauche, un certain Laurent Bouvet qui théorise “l’insécurité culturelle” parce qu’il trouve qu’il y a trop de restaurants halal dans certains quartiers.
La lutte contre l’islamophobie devrait faire converger toutes celles et ceux qui estiment vouloir une société plus juste. Mais au lieu de cela, l’islamophobie fait converger l’ensemble du spectre politique français.
Tant que les dominations structureront nos rapports, nous continuerons d’avancer main dans la main vers d’autres catastrophes.
Une société qui vit dans la peur est vouée à s’entre-déchirer, ne vous bernez pas d’illusions. Notre faute commune c’est de nous laisser gouverner par des technocrates intellectuellement médiocres et qui jouent sur nos peurs pour rester au pouvoir.
Jamais une domination n’apportera une quelconque prospérité. Celles et ceux qu’on appelle les musulmans sont le baromètre de nos libertés individuelles et collectives aujourd’hui. Notre modèle de société est à bout de souffle.
On peut soit attendre que d’autres choisissent pour nous notre futur, ou bien on peut prendre nos responsabilités individuelles et collectives.
Regardez bien ce qu’ils perdent comme libertés aujourd’hui et vous saurez ce que vous perdrez comme libertés demain.
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