Céline Beaury, Paris, 15 Mai 2021

Comme l’avait annoncé le CJL dans son communiqué de presse du 14 Mai 2021, la participation aux manifestations de soutien à la résistance palestinienne a été maintenue. Et une répression massive fut au rendez-vous. (Reportage)

Ce 15 mai jour de la Nakba, plusieurs manifestations en soutien au peuple Palestinien étaient prévues dans toute la France. Mais dans la capitale, sur demande du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, la manifestation était interdite, au motif qu’elle pouvait créer des troubles à l’ordre public. Des milliers de manifestants ont néanmoins bravé l’interdiction.

« Nous sommes tous des Palestiniens »

Dès 12h ce samedi, de nombreuses stations de métro sont fermées. Objectif : empêcher les manifestants pro-palestiniens de se rendre à Barbès où rendez-vous était donné à 15h pour un départ de la manifestation en direction de Bastille. Malgré l’interdiction, confirmée la veille, organisateurs et nombreux soutiens avaient maintenu l’appel sur les réseaux sociaux. C’est donc à pieds et sous une météo capricieuse que les manifestants tentent d’atteindre tant bien que mal le point de rendez-vous. Un impressionnant dispositif sécuritaire est présent pour les accueillir, 4200 policiers et gendarmes sont mobilisés pour l’occasion.

4200 policiers et gendarmes mobilisés

Dès 14h45 : les policiers bloquent l’accès des piétons via le Bd Magenta. Un canon à eau est d’ores et déjà présent.

15 heures, ce qui devait être l’heure du départ de la manifestation sonne le début des premières sommations, face à des manifestants médusés. Dans la minute les fonctionnaires commencent à repousser la foule.

« Israel assassin, Macron complice »

Le long du boulevard de la Chapelle, les manifestants répondent aux injonctions de dispersion scandant « Israel assassin, Macron complice » ou « Nous sommes tous des Palestiniens ». Faisant face au canon à eau certains brandissent drapeaux palestiniens et pancartes sur lesquelles on peut notamment lire « Balance tes colonies » ou « Palestinians lives matter ».

Linda M., cadre dans les Ressources Humaines présente sous le métro aérien avoue que cette interdiction l’a doublement motivée, « Je suis un peu malade. Si la manifestation avait été autorisée, je serais probablement restée chez moi au chaud, en me disant que d’autres y seraient allés. Mais cette interdiction m’a révoltée. Il était indispensable d’être là. Paris est la seule capitale à avoir pris une telle mesure ! » .

« Nous portions un keffieh…tous les quatre avons pris 135 euros d’amende pour participation à manifestation interdite »

Habiba Bigdade, militante des droits humains

Il n’aura fallu que 15 minutes pour que le canon arrose la foule, qui recule brièvement mais revient rapidement faire face. « Les gazs lacrymogènes et le canon à eau, ce n’est rien par rapports aux bombardements que subissent les gazaouis, rétorque un manifestant ». Cette stratégie de dispersion, créé plusieurs groupes de manifestants disséminés dans les rues du nord parisien.

A l’instar de Habiba Bigdade 43 ans, militante des droits humains, certains n’ont pas réussi à atteindre Barbes. « Avec trois amis nous nous sommes garés du côté d’Anvers, les policiers fouillaient les sacs. Nous n’avons pas tenté d’esquiver le contrôle. Mon amie et moi portions un keffief, une fonctionnaire en a déduit que nous allions à la manifestation. Tous les quatre avons pris 135 euros d’amende pour participation à manifestation interdite. Il était 14h15. Nous étions encore loin du lieu de rassemblement » témoigne la jeune femme que nous avons eu après la manifestation.

« on rentre dans une ère de propagande incroyable. Même les prises de positions les plus softs sont montrées du doigt comme radicales »

Artiste, manifestant

Pendant plusieurs heures, le nord de Paris est le théâtre d’un jeu du chat et de la souris, où les manifestants dispersés essuient grenades lacrymogènes et charges de CRS. La Brav’M (Brigade de répression de l’action violente motorisée) est également omniprésente.

Aux fenêtres des immeubles de nombreux soutiens, idem dans les voitures qui klaxonnent au passage des manifestants. Certains commerçants laissent leur boutique ouverte, comme cette boulangerie de l’avenue Max Dormoy où se réfugient plusieurs jeunes manifestantes en larmes venus acheter du lait, après avoir essuyé les gazs lacrymogène.

Azdine M. 44 ans, plombier chauffagiste a tenu à venir malgré l’interdiction. « En France le droit de manifester est un droit constitutionnel. On est dans un pays de libertés, on a le droit de dire ce qu’on pense », assure le père de famille.

Fin d’après-midi les manifestants se dispersent. Au grand dam de ceux qui espéraient des débordements

Un artiste rencontré sur place se confie, sur l’extrême droitisation des médias « on rentre dans une ère de propagande incroyable. Même les prises de positions les plus softs sont montrées du doigt comme radicales ».

Certains manifestants rejoignent la place de la République. D’autres continueront à jouer au chat et à la souris aux alentours du métro Barbes.

Fin d’après-midi les manifestants se dispersent. Au grand dam de ceux qui espéraient des débordements. Ni pancarte, ni slogan antisémite n’ont été relevés et aucun heurt majeur n’a été recensé. La préfecture fait état de 44 interpellations.

A contre-courant des grandes métropoles comme New-York, Chicago ou Bruxelles ou des milliers de personnes ont pu se réunir pacifiquement pour manifester leur soutien au peuple palestinien, cette interdiction parisienne, au pays dit « Des droits de l’Homme » est apparue comme complètement infondée.

Le bilan humain lui s’est encore alourdi sans que rien ne soit fait pour y mettre un terme. Plus de 200 morts sont à dénombrer parmi les civils dont 59 enfants et 35 femmes. Israel continue de pilonner la bande de Gaza en détruisant immeubles d’habitation, locaux de presse et même les cimetières.